Fret Ferroviaire Français : à quand le bout du tunnel ?

Epinglée par Bruxelles pour avoir bénéficié d’aides illégales, Fret SNCF est menacée. Pour éviter sa liquidation, l’Etat français négocie avec la Commission européenne. Fin avril, le ministre délégué aux Transports, Clément Beaune a exposé son plan de sauvetage à l’ensemble des organisations syndicales représentatives de la SNCF. L’occasion de revenir en détails sur cette affaire et de s’interroger sur l’avenir du fret ferroviaire en France.

C’est en janvier dernier, que Bruxelles a ouvert une enquête à l’encontre de l’Etat français, en lien avec des soupçons de versement d’aides illégales à la société Fret SNCF. Concrètement elle est suspectée d’avoir profité d’aides d’Etat non conformes aux règles européennes entre 2007 et 2019.

« En Europe, le fret est libéralisé, c’est une obligation » expliquait le journaliste Gilles Dansart (journaliste, rédacteur en chef du site Mobilettre et spécialiste du transport ferroviaire) sur les ondes de Radio France le 25 mai dernier. « Donc dans ce contexte-là, les aides d’Etat sont soigneusement encadrées et doivent bénéficier à tous les protagonistes ». Et dans ce cas précis, ça n’a pas été le cas puisque lors de la dernière réforme ferroviaire, notre gouvernement a logé la dette de 5,3 milliards d’euros de Fret SNCF dans celle de sa maison mère.

Une manœuvre risquée qui n’a pas beaucoup plu à la Direction Générale de la concurrence européenne, qui est aujourd’hui en droit d’exiger que cette dette soit réattribuée à qui de droit et de demander son remboursement. Et c’est bien là le problème car Fret SNCF, incapable de rembourser, se retrouverait automatiquement en faillite.

Une solution de « discontinuité » proposée par l’Etat

Pour éviter ce scénario catastrophe, Paris a préféré négocier un compromis pour sauver l’entreprise. Clément Beaune, le ministre délégué aux Transports a donc proposé à Bruxelles – selon ses mots – un « scenario de discontinuité », une solution à la Alitalia en moins sévère. En clair, il s’agirait de liquider Fret SNCF pour laisser place à une entité plus modeste, une nouvelle société qui ne porterait pas sa dette.

La nouvelle entreprise appelée provisoirement New Fret (selon Ouest France) resterait intégrée au groupe ferroviaire, mais son capital pourrait s’ouvrir à des « actionnaires minoritaires, qui ne remettraient pas en cause la gestion publique » promet l’exécutif. New Fret devrait être crée le 1er janvier 2025 et reprendre 70% du trafic. D’un point de vue social la nouvelle société devrait reprendre 90% des 5000 cheminots de Fret SNCF, ce qui n’est pas très cohérent avec l’idée d’une entité « modeste ».
L’entreprise restera dans le giron de la SNCF.
Une deuxième entité s’occuperait elle de la maintenance des trains de New Fret et de ses concurrents, pour nous, c’est une utopie de plus.
Quant à la dette de Fret SNCF, elle disparaitrait pour toujours … mais pour réapparaître quand ?

Un scenario qualifié par certains « du moindre mal » qui sera examiné par la Commission dans les prochains mois. Bruxelles rendra sa décision « idéalement avant la fin de l’année ».

Quel impact sur le fret En France ?

Il n’empêche que la mise à l’amende de Fret SNCF au nom de la libre concurrence est une affaire dont on se serait bien passé. Plombé par le piètre état de l’infrastructure et la compétition frontale avec la route, le fret ferroviaire s’était timidement remis sur les rails pendant le COVID jusqu’à frôler les 11% de part de marché dans le transport de marchandise en 2021. Des chiffres que nous pourrions considérer comme bons, tant le fret est à la traîne dans notre pays, par rapport à ses voisins européens. Un rebond dû essentiellement aux entreprises privées de fret, il faut le préciser. En effet, le train transportait les deux tiers des marchandises en 1950, 30% en 1985 et seulement 10% en 2006, lors de l’ouverture à la concurrence. Depuis le fret ferroviaire a repris des couleurs (10,7% de part modale en 2021) notamment grâce aux nouveaux acteurs du secteur.

On avait également noté sur cette période, un résultat d’exploitation positif pour Fret SNCF, pourtant déficitaire depuis plusieurs années.

Face au défi de notre siècle que représente la lutte contre le changement climatique, la question des mobilités et celle du transport de marchandises en particulier devrait cristalliser toutes les attentions. Tout le monde s’accorde à dire qu’il est grand temps de sortir des déclarations d’intention et de mettre le fret ferroviaire au cœur de nos modes de vie et de notre économie. Pour limiter l’impact sur l’environnement, le fret ferroviaire est souvent présenté comme une des alternatives au transport routier. En un mot, une conjoncture favorable pour le fret ferroviaire !

De nombreux acteurs se posent la question : et si l’affaire Fret SNCF allait anéantir l’avenir du fret en France ? ce à quoi Eurosud TEAM répond : et si c’était l’arbre qui cache la forêt ?

Pour l’heure, les mouvements sociaux déclenchés par cette crise nuisent considérablement à l’activité des acteurs impliqués dans ce secteur. Certains transporteurs ayant recours au multimodal souffrent anormalement d’autant que les grèves liées à la réforme des retraites avaient déjà fortement impacté leur activité début 2023. Depuis l’annonce du plan de démantèlement de Fret SNCF le 23 mai dernier par le gouvernement, un énième mouvement social s’est déclenché à Perpignan entrainant encore une fois la mise à quai du symbolique train des Primeurs (Perpignan-Rungis).

Pour Eurosud TEAM, cette crise devrait pourtant permettre d’amorcer une dynamique nouvelle… mais il est urgent de s’en donner les moyens ! Car si aujourd’hui 90% des marchandises sont transportées en camions et 10% en train, une vision globale et les moyens associés sont nécessaires pour que l’on passe à 20%, l’objectif annoncé par les pouvoirs publics !

Pour doubler la part du fret d’ici à 2030, le ministre Clément Beaune a annoncé des aides d’Etat versées au secteur : « elles seront portées de 170 millions à 200 millions par an à partir de 2025 » … ce qui ressemble à un pansement sur une jambe de bois.

Par ailleurs un plan d’investissement de 4 milliards d’euros dont la moitié d’argent public (???) est également prévu. L’ambition est affichée avec la « Stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire » (https://www.ecologie.gouv.fr/publication-strategie-nationale-developpement-du-fret-ferroviaire) mais les moyens et la mise en oeuvre n’y sont toujours pas. La crise traversée par Fret SNCF aura au moins le mérite d’avoir relancé le débat sur l’utilité du fret ferroviaire en France.

Un débat qui devrait être approfondi par la création d’une commission d’enquête parlementaire sur « la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir » décidée par l’Assemblée Nationale le 27 juin. Elle tombe à point nommé pour aborder la question du bilan et des perspectives du secteur.

La mobilisation en faveur du climat, la prise de conscience des atouts environnementaux des trains et les saturations routières qui plaident pour le fret ferroviaire devraient en toute logique faire bouger les choses. A suivre …

 

 

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